À trois jours de la présidentielle, l’ancien président Laurent Gbagbo, écarté du scrutin, dénonce un « coup d’État civil » et annonce son retrait de la vie politique partisane.
Dans un entretien exclusif accordé à Afromédia, l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo, à la veille d’une élection à laquelle il ne participera pas, a livré une analyse sans concession de la situation politique en Côte d’Ivoire. Dépeignant le scrutin du 25 octobre comme un « braquage électoral » et un « coup d’État civil », il a également annoncé son prochain retrait de la direction de son parti, actant la fin d’une longue carrière politique opérationnelle.
Il n’y a pas de retraite en politique, mais…
À 80 ans, Laurent Gbagbo écarte toute idée de candidature future. « Il n’y a pas de retraite en politique, donc je n’irai pas à la retraite, mais je m’interdirai d’occuper des fonctions politiques », a-t-il déclaré, répondant à ceux qui, ailleurs, briguent un mandat à un âge avancé. « C’est leur choix. Ce n’est pas le mien. Moi, j’ai assez donné. »
Interrogé sur la raison d’une candidature à 80 ans lors du dernier cycle électoral, il explique que celle-ci lui a été proposée et qu’il a mis des mois à y répondre. Son acceptation finale fut motivée par le désir d’une revanche démocratique : « En 2010, j’ai gagné. Le Conseil constitutionnel m’a proclamé vainqueur. (Alassane Ouattara) a contesté… J’ai dit : on va remettre ça pour voir qui a vraiment gagné. » Un match qui n’aura finalement pas lieu, sa candidature ayant été invalidée.
La longévité politique, une conséquence de la rébellion
L’ancien chef de l’État revient longuement sur son parcours, estimant que sa « longévité » politique est une conséquence directe de la rébellion qu’il a affrontée. Élu en 2000, il affirme n’avoir eu « pas le temps de gouverner », les premiers coups de feu contre son régime étant survenus moins de trois mois après son investiture. Il pointe du doigt une coalition d’acteurs, incluant des « jeunes gens ivoiriens » comme Guillaume Soro, des financiers locaux « nommément cités », et la France, évoquant l’ancien président Nicolas Sarkozy qui « voulait [le] vitrifier » et le bombardement de sa résidence.
La présidentielle 2020 : un « coup d’État » et un « boulevard » pour Ouattara
Pour Laurent Gbagbo, l’élection présidentielle à venir est illégitime. L’invalidation de sa candidature et de celle de Bédié (PDCI) signifie que « ceux qui peuvent gagner ces élections ont été écartés ». Il rejette l’argument sécuritaire avancé par Alassane Ouattara pour justifier un troisième mandat. « Les États-Unis ont affaire à des menaces nucléaires, ce n’est pas pour ça que Trump va dire « je reste au pouvoir ». » Selon lui, gouverner à 80 ans est possible, mais il déplore un « recul de la liberté » sous le régime actuel, citant les centaines d’arrestations de militants.
Il annonce que sa formation, le PPCI, ne soutiendra aucun candidat et n’appellera pas au vote. « Ceux qui manifestent contre ce braquage électoral, je les soutiens », lance-t-il, tout en précisant qu’il ne donne pas d’ordre de descente dans la rue, mais qu’il soutient ceux qui protestent pacifiquement. Cette position, reconnaît-il, pourrait offrir un « boulevard » au président sortant, mais « un coup d’État, c’est toujours un boulevard ».
Bilan et relations régionales : le legs de Gbagbo
Face aux réalisations en infrastructures du gouvernement Ouattara, l’ancien président oppose son propre bilan : la libéralisation du secteur café-cacao, l’école gratuite et obligatoire, la construction de l’autoroute du Nord et du pont de Jacqueville. Il estime que les grands travaux actuels sont parfois des « tapis » ou des projets pour « jouer », contrairement à ses « choses utiles ».
Sur la crise avec les pays de l’Alliance des États du Sahel (AES – Mali, Burkina Faso, Niger), M. Gbagbo la qualifie de « ridicule » et d’« enfantillage ». Il accuse le pouvoir ivoirien de mener « le combat d’autrui », en l’occurrence celui de la France, et estime que la Côte d’Ivoire « ne peut pas vivre sans être en bonne relation avec le Mali, le Niger, le Burkina Faso. Nous sommes un bloc. » S’il affirme qu’il faudrait « être à la tête de l’État » pour résoudre cette crise, il ne s’interdit pas d’aller « saluer » et « discuter » avec les dirigeants de l’AES à titre personnel.
Laurent Gbagbo confirme son prochain retrait de la tête de son parti
L’entretien se conclut sur une annonce personnelle : Laurent Gbagbo confirme son prochain retrait de la tête de son parti. Un congrès sera organisé après les législatives, où il ne briguerra plus de fonction dirigeante. « Je vais prendre mon temps pour moi-même, pour ma petite famille. Je vais vivre un peu, écrire aussi », annonce-t-il, soulignant qu’« il y a des moments où il faut arrêter certaines choses ». Alors que la Côte d’Ivoire s’apprête à voter, la voix de Laurent Gbagbo continue de porter, cristallisant les frustrations d’une frange de l’opposition et dessinant les contours des futures batailles politiques, qu’il observera désormais de l’extérieur du ring électoral.
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