Le samedi 9 août 2025, Abidjan a été le théâtre d’une mobilisation politique d’envergure, orchestrée par le Front Commun, alliance inédite entre le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI-RDA) et le Parti des Peuples Africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI). Cette marche, autorisée après une première interdiction, a rassemblé des milliers de manifestants dans la commune de Yopougon. Derrière les slogans et les pancartes, c’est une recomposition politique qui s’esquisse, avec des implications majeures pour la présidentielle d’octobre 2025.
Contexte et déroulement de la marche
Initialement prévue pour le 2 août, la marche avait été interdite par le préfet d’Abidjan, invoquant des impératifs sécuritaires liés à la fête nationale et à l’AfroBasket féminin. Après négociations, elle a été reprogrammée pour le 9 août, avec un itinéraire défini entre le cinéma Saguidiba et la place Ficgayo à Yopougon.
La mobilisation s’est déroulée dans un climat pacifique, encadrée par les forces de l’ordre. Les leaders du PDCI et du PPA-CI ont pris la parole pour dénoncer l’exclusion de leurs figures emblématiques — Tidjane Thiam et Laurent Gbagbo — du processus électoral, et pour réclamer des élections “inclusives et transparentes”.
Une alliance stratégique : PDCI + PPA-CI
La principale nouveauté réside dans la formation du Front Commun. Historiquement rivaux, le PDCI et le PPA-CI ont décidé de transcender leurs différends pour faire front contre ce qu’ils qualifient de “verrouillage institutionnel” du processus électoral. Cette alliance est perçue comme une réponse à la candidature controversée du président sortant Alassane Ouattara pour un quatrième mandat.
Cette convergence stratégique crédibilise l’opposition, souvent accusée de fragmentation et d’incohérence. Elle envoie un signal fort : l’opposition peut s’unir autour d’un agenda démocratique commun, même si les ambitions personnelles des leaders restent en toile de fond.
Les revendications : inclusion et transparence
Au cœur des revendications du Front Commun figurent :
- La réinscription de Laurent Gbagbo et Tidjane Thiam sur les listes électorales
- La réforme de la Commission Électorale Indépendante (CEI)
- La garantie d’un processus électoral équitable
- Le respect des libertés publiques, notamment le droit de manifester
Ces demandes traduisent une volonté de rééquilibrer le jeu politique, jugé trop favorable au pouvoir en place. Elles visent aussi à internationaliser le débat, comme en témoigne la couverture médiatique par des agences internationales telles que l’Associated Press.
Le pouvoir face à la pression
Le gouvernement, par la voix du porte-parole Amadou Coulibaly, a tenté de désamorcer la tension en proposant des alternatives à la marche initiale et en insistant sur le respect de la liberté d’expression. Toutefois, les arrestations ciblées à Yopougon et les restrictions administratives laissent entrevoir une stratégie de “gestion calibrée” de l’opposition.
Cette approche vise à éviter la répression frontale tout en maintenant un contrôle strict sur les leviers institutionnels : CEI, Conseil constitutionnel, et appareil judiciaire. Le pouvoir semble vouloir fragmenter les contentieux électoraux en obstacles techniques (nationalité, condamnations, délais), tout en tolérant certaines candidatures pour donner une illusion de pluralisme.
Résonance nationale et internationale
La marche du 9 août ne s’est pas limitée à une démonstration locale. Elle a résonné au-delà des frontières ivoiriennes, attirant l’attention des chancelleries et des observateurs internationaux. Le Front Commun a réussi à repositionner la question de l’inclusivité électorale au cœur du débat national et diplomatique.
Cette pression internationale pourrait contraindre le gouvernement à des concessions, notamment en matière de transparence électorale. Mais elle pourrait aussi renforcer la posture souverainiste du pouvoir, qui pourrait dénoncer une ingérence étrangère.
Conséquences politiques : recomposition ou polarisation ?
La marche du Front Commun pourrait marquer un tournant dans la dynamique politique ivoirienne. Trois scénarios se dessinent :
1. Recomposition de l’opposition
Si l’alliance PDCI-PPA-CI se maintient, elle pourrait déboucher sur une candidature unique ou une plateforme commune. Cela renforcerait la capacité de l’opposition à peser dans le scrutin et à mobiliser les électeurs.
2. Polarisation accrue
La radicalisation des discours et la montée des tensions pourraient conduire à une polarisation du paysage politique, avec un affrontement frontal entre le pouvoir et l’opposition. Ce scénario comporte des risques de violences et d’instabilité.
3. Neutralisation institutionnelle
Le pouvoir pourrait continuer à utiliser les institutions pour neutraliser les candidatures gênantes, tout en maintenant une façade démocratique. Ce scénario prolongerait le statu quo, mais au prix d’une légitimité contestée.
Analyse : une opposition en quête de crédibilité
La marche du Front Commun révèle une opposition en quête de crédibilité et de cohérence. En s’unissant, le PDCI et le PPA-CI cherchent à dépasser les querelles de leadership pour incarner une alternative démocratique. Mais cette unité reste fragile, dépendante des ambitions personnelles et des calculs électoraux.
Le défi pour l’opposition sera de transformer cette mobilisation en dynamique politique durable, capable de résister aux manœuvres institutionnelles et de proposer un projet clair aux électeurs.
Le rôle des institutions : arbitres ou instruments ?
La CEI et le Conseil constitutionnel sont au cœur du débat. Leur impartialité est mise en doute par l’opposition, qui les accuse de servir les intérêts du pouvoir. Une réforme de ces institutions pourrait être la clé d’un apaisement politique, mais elle semble peu probable à court terme.
Une marche, des enjeux
La marche du Front Commun du 9 août 2025 est bien plus qu’un événement ponctuel. Elle cristallise les tensions, les espoirs et les stratégies d’un pays à la veille d’une élection cruciale. Elle pose une question fondamentale : la Côte d’Ivoire est-elle prête pour une démocratie inclusive et apaisée ?
Le pouvoir, l’opposition, la société civile et la communauté internationale ont désormais les yeux rivés sur octobre 2025. La marche a ouvert une brèche. Reste à savoir si elle débouchera sur un véritable changement ou sur une nouvelle impasse.
Articles recommandés: Crypto pour les Ivoiriens
Laisser un commentaire